PARACHAT BALAK
D’un coup d’œil…
« וישא משלו ויאמר נום בלעם בנו בער ונאם הגבר שתם העין »
« Il déclama sa parole et dit : discours de Bilaam fils de Béor et discours de l’homme à l’œil crevé. » (Bamidbar 24,3)
1. Bilaam et la sorcellerie : une impuissance face à la nuée divine
Rabbi Yonatan Eybechitz écrit que Bilaam essaya toutes sortes de sorcelleries pour faire retourner le peuple d’Israël en Égypte. Toutefois, sa magie noire dépendait du soleil et de son ange, et lorsque le soleil était recouvert de nuages, aucune magie n’avait d’emprise.
Les enfants d’Israël étant recouverts des nuées de gloire, la sorcellerie n’avait pas d’effet sur eux. C’est le sens des paroles de Balak : « Un peuple est sorti d’Égypte » et on ne peut les y renvoyer par la magie car « voici qu’il a couvert l’œil de la terre » – le soleil, appelé « l’œil de la terre ».
L’ange préposé au soleil s’appelle Galgaliel (גלגליא »ל), et celui préposé à la lune : Orpaniel (אורפניא »ל). (Tiféret Yonatan)
2. L’œil de Bilaam : aveugle ou clairvoyant ?
Rachi explique que Bilaam était physiquement aveugle d’un œil, comme l’indique le verset : « l’homme à l’œil crevé ». Le Talmud confirme : son orbite apparaissait ouverte. (Sanhédrin 105a)
Mais le Targoum Ounkelos commente : « Discours de l’homme qui voyait parfaitement bien. »
Comment concilier ces deux visions ?
3. Le regard prophétique à travers l’œil fermé
Nous avons trouvé une explication merveilleuse du Baal Chem Tov d’après les enseignements de Rachi : « Si tu me demandes : pourquoi Hakadoch Baroukh Hou étendit-il sa Présence divine sur un non-juif mécréant (Balak) ? Il fit cela dans le but de contrer les nations qui pouvaient prétexter : si nous avions eu des prophètes, nous nous serions repenties !
4. Le regard matériel vs. le regard spirituel
D.ieu établit pour eux des prophètes mais ils firent une brèche dans la barrière morale du monde. En effet, les non-juifs ne se livraient pas à des unions interdites mais Bilaam leur conseilla de s’adonner à ces pratiques. » (רש »י במדבר כב, ה)
Pour qu’un homme puisse accéder à la prophétie, il doit sanctifier ses sens et particulièrement sa vue afin qu’il puisse bénéficier d’une vision prophétique claire de l’avenir. Hakadoch Baroukh Hou ne pouvait pas étendre sa prophétie sur Bilaam l’impie qui rendait ses yeux impurs par des visions interdites. Néanmoins, pour contrer l’argument des nations, Hakadoch Baroukh Hou avait besoin d’un prophète. Il le rendit donc aveugle d’un seul œil afin de ne pas le rendre impur aussi. Ainsi, il put accéder à la prophétie par l’intermédiaire de l’œil qui ne voyait plus le monde matériel.
C’est ici le sens de l’explication du Targoum Ounkelos : « C’est le discours d’un homme qui voyait parfaitement bien. » Du fait de sa semi-cécité, il pouvait voir parfaitement bien, c’est-à-dire avoir une vision prophétique. L’explication du Targoum Ounkelos et celle de Rachi ne se contredisent pas et sont, au contraire, parfaitement complémentaires. Il était aveugle d’un œil physiquement, et c’est ce handicap qui lui permit d’avoir une vision prophétique. (בעל שם טוב בלק אות ד)
Le ‘Hatam Sofer écrit à ce sujet :
« L’homme a deux sortes d’yeux : les yeux qui lui permettent d’observer et de définir la matérialité. Tout celui qui ouvre ses « yeux matériels » ferme automatiquement ses « yeux spirituels » qui donnent accès à la sagesse. Inversement, tout celui qui ferme ses yeux sur la matérialité, ouvre les yeux de la sagesse. » (דרשות חתם סופר ח »ב דף שז)
Le ‘Hatam Sofer explique que la vue matérielle fait écran à la vue spirituelle qui provient de la pureté de l’intellect.
Nous pouvons y ajouter l’explication du « תורת משה » qui explique la raison pour laquelle nous avons l’habitude de fermer nos yeux lorsque nous récitons le premier verset du Chéma Israël : « Si l’homme souhaite unir sa pensée avec le Ciel lors de la récitation du premier verset du Chéma Israël, il doit fermer ses yeux car chaque homme possède dans son cerveau des yeux spirituels qui lui permettent d’accéder à des visions élevées, spirituelles et saintes. Cependant nos yeux conçus de matière font séparation et empêchent l’accès à la kédoucha. J’ai déjà évoqué une allusion qui va dans ce sens d’après le verset : « La nuit est lumineuse comme le jour, l’obscurité est clarté. » (תהילים קלט, יב) c’est-à-dire qu’à chaque fois que l’homme ferme ses yeux matériels pour être dans l’obscurité, il ajoute de la vision à ses yeux spirituels car les yeux matériels font écran à l’attachement de l’homme à son Créateur. » (תורת משה במדבר ח – ב ד »ה אל מול)
« La nuit est lumineuse comme le jour, l’obscurité est clarté. » (תהילים קלט, יב)
5. La pureté du regard selon le Rachit ‘Hokhma
Le Rachit ‘Hokhma, au nom du Mekoubal Rabbi Moché Cordovéro, confirme :
« L’homme devra fermer ses yeux au moment de la prière… afin de visualiser par la pensée et accéder à la spiritualité. »
Le « ראשית חכמה » explique au nom de son maître le Mékoubal Rabbi Moché Kordovéro זיע »א le concept que nous venons de soulever et précise que la fermeture des yeux physiques permet d’augmenter notre Kavana grâce à nos yeux spirituels : « Mon maître a écrit au sujet du verset : « Vous ne vous égarerez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux… » (במדבר טו, לט) – Tout ce qui pénètre notre regard est matériel. Aussi, l’homme devra fermer ses yeux au moment de la prière car lorsque la vue ferme l’accès à la matérialité, l’homme visualise par sa pensée et accède ainsi à la spiritualité. Ce verset parle donc du cœur et des yeux spirituels.
Nous comprenons mieux dès lors le passage de la prière du matin de Chabbat, Nichmat kol ‘Haï : « וכל עין לך תצפה » = « tout œil doit espérer en Toi. » L’œil n’a pas été créé pour espérer dans des choses matérielles mais pour être comme l’œil des prophètes qui espéraient toujours avoir une vision du Char Céleste et accéder à des visions des mondes supérieurs. Et ceci ne peut être accessible seulement lorsque nous fermons nos yeux à la matérialité. Ainsi, nous protégeons nos yeux de toute chose qui pourrait les endommager et c’est la raison pour laquelle on surnommait les premiers ‘Hassidim : « פקיחי עיינין », que je pourrais traduire par « les visionnaires » !
Nous les retrouvons désignés à plusieurs reprises dans le Zohar Hakadoch car ils purifiaient leur regard convenablement au point il n’y avait plus aucun écran entre eux et la sainteté. » (ראשית חכמה שער הקדושה פ »ח אות מו)
6. L’ange de la mort et la lettre ‘Aïn (ע)
À présent, nous comprenons mieux les paroles du Baal Chem Tov qui expliquait l’opposition entre le regard matériel et le regard spirituel. À plus forte raison concernant le regard de Bilaam qui contemplait des interdits, ce qui l’empêchait totalement d’avoir une vision prophétique. Ainsi, le Maître de l’univers lui retira la vue d’un œil pour qu’il ne puisse plus regarder avec ses deux yeux la matérialité et ainsi accéder à une vision prophétique avec son œil spirituel.
En s’appuyant sur ce que nous venons d’étudier, j’ai pensé pouvoir expliquer le passage talmudique suivant :
« Les Sages ont enseigné à propos de l’ange de la mort qu’il était rempli d’yeux. Au moment où le malade doit mourir, l’ange de la mort se tient debout au-dessus de sa tête. Ce dernier tient dans sa main une épée à l’extrémité de laquelle une goutte de poison est suspendue. Lorsque le malade voit l’ange de la mort, apeuré, il ouvre la bouche et y reçoit la goutte de poison, ce qui le fait mourir. Le poison va le putréfier et sa face va devenir verdâtre. » (עבודה זרה כ:)
7. Pour quelle raison l’ange de la mort se dévoile-t-il à l’homme ainsi avant de mourir, « rempli d’yeux » ?
Pour répondre à cette question, commençons par introduire les paroles du Mékoubal Rabbi Its’hak Eïsik de Karits זיע »א auteur du livre « ברית כהונת עולם » qui explique le verset suivant :
« וראה הכהן אחרי הוכבס את הנגע והנה לא הפך הנגע את עינו והנגע לא פשה טמא הוא »
« Le Cohen regardera après que la tâche fut lavée, et voici que la plaie n’a pas changé d’aspect et la tâche ne s’est pas étendue, elle est impure. » (ויקרא יג, נה)
Il est écrit dans le Sefer Yétsira :
« Il n’y a pas plus haut dans le bien que le ענג = délice et il n’y a pas plus bas dans le mal que le נגע = plaie. (Cela peut également faire allusion à une notion d’infection, de blessures, de tâches ou de dommages.) (ספר יצירה פ »ב מ »ד) Les lettres du mot ענג = délice sont les mêmes que celles du mot נגע = plaie. Lorsque l’homme sert l’Eternel son D.ieu, son acte s’apparente au ענג = délice mais lorsqu’il faute, son acte s’apparente au נגע = plaie. L’homme devra donc se repentir complètement afin d’inverser les lettres de נגע = plaie en ענג = délice. Aussi, l’Ecriture nous fait cette allusion : « Le Cohen regardera après que la tâche fut lavée ». Le Cohen constate le dégât causé par la faute de l’homme qui nécessite un repentir pour nettoyer cette tâche. « Et voici que la plaie n’a pas changé d’aspect. » Il n’a toujours pas inversé la lettre ע du mot נגע. « Elle est impure. » – Car il ne s’est pas encore repenti comme il convient. (שם אפרים תזריע)
Nous pouvons ajouter que la différence fondamentale entre les deux termes se résume à la place que va prendre la lettre ע = Aïn qui signifie littéralement l’œil = עין. Ceci fait allusion au regard porté par l’œil de l’homme. S’il utilise son œil spirituel, son œil de sagesse, il pourra concrétiser la parole de nos Sages : « Quel est l’homme sage ? Celui qui voit l’avenir car il devra finalement rendre compte et c’est ce qui l’empêche de fauter. » (תמיד לב.) Aussi, sa vie est un ענג = délice car avant chaque acte, il analysera et percevra la finalité en plaçant la lettre ע = Aïn au début du mot. A l’inverse, si l’homme faute, il utilise son œil à des fins néfastes et par conséquent la lettre ע = Aïn va se placer à la fin du mot pour devenir נגע = plaie.(2)
(2) Nous pouvons retrouver cet enseignement à propos de la faute d’Adam Harichon à travers les paroles du Midrach : « Soixante-dix shekels d’après le shekel consacré. » (במדבר ז, יג) Le Midrach demande : pourquoi soixante-dix ? Il correspond aux soixante-dix premiers versets du livre Berechit. » (במדבר רבה יד, יא) En effet, depuis le premier verset de la Torah : « בראשית ברא » jusqu’à la malédiction du serpent : « ויאמר ה’ אלהים אל הנחש » il y a soixante-dix versets correspondant à la lettre ע = Aïn dont la valeur numérique est de 70. Ceci pour nous apprendre que le serpent a endommagé Adam et son épouse en les empêchant de voir avec leurs yeux spirituels et leur intellect. Ils n’ont donc pas pu voir les conséquences de leurs actes sur l’avenir.
D’après ce que nous ont enseigné nos Sages, il se trouve donc que chaque fois que l’homme faute et tombe sous l’emprise de son mauvais penchant, c’est parce qu’il n’a pas su placer la lettre ע = Aïn au début du mot ענג = délice en faisant preuve de sagesse et en percevant la finalité de ses actes, en d’autres termes la mort ! (בבא בתרא טז.) Ainsi, lorsque le moment est venu pour l’homme de quitter ce monde, l’ange de la mort se présente « rempli d’yeux » de toutes les lettres ע = Aïn (qui signifie « œil ») qu’il n’a pas utilisées pour se rappeler qu’il devait faire de sa vie un ענג = délice pour l’éternité.
D’après ceci, nous pouvons expliquer les paroles de nos Sages de mémoire bénie de façon prodigieuse au sujet du verset : « l’Eternel écartera de toi toute maladie. » (דברים ז, טו) Rav a enseigné qu’il s’agit du mauvais œil. La Guémara explique que Rav avait la capacité de déterminer, en passant devant les tombes, la cause de la mort de chaque défunt et il déclara : « Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens décèdent à cause du mauvais œil, et un pour cent décède d’une mort naturelle. »(3) (ע »פ בבא מציעא קז:)
(3) Il y a plusieurs autres interprétations de notre verset par les Sages du Talmud : Chemouel a enseigné que c’est le vent qui cause toutes sortes de maladies. Rabbi ‘Hanina a enseigné que c’est le froid. Rabbi Yossi ben Rabbi ‘Hanina a enseigné qu’il s’agit des excrétions. En effet, les excrétions du nez ou de l’oreille sont nocives lorsqu’elles sont abondantes et bénéfiques lorsqu’elles sont clairsemées. Rabbi Éléazar a enseigné qu’il s’agit de la bile. » (בבא מציעא קז:) Il est également enseigné dans une braïta du Talmud de Jérusalem à propos du verset : « L’Eternel écartera de toi toute maladie. » qu’il s’agit d’une forte fièvre selon Rabbi. Rabbi Eliézer ben Yaacov a enseigné qu’il s’agit de l’ambition. Rabbi Avon a enseigné qu’il s’agit du mauvais penchant qui commence en douceur et qui finit dans l’amertume. (ירושלמי שבת יד, ג)
Nous pouvons expliquer d’après notre enseignement que quatre-vingt-dix-neuf pour cent des morts du « mauvais œil » n’ont pas utilisé leur œil = עין pour établir un bon regard, c’est-à-dire celui tourné vers le futur qui est comparable au ענג = délice mais l’ont utilisé à mauvais escient ce qui est comparable au נגע = plaie qui mène à la mort. Ainsi, c’est la raison pour laquelle l’ange de la mort se présente rempli d’yeux au mourant.
8. Amalek et la lettre arrachée
D’après ceci, voici comment comprendre la prophétie de Bilaam concernant Amalek :
« Il vit Amalek et dit : Amalek est le premier des peuples et sa fin sera une destruction éternelle. » (במדבר כד, כ)
La force du peuple d’Amalek provient du mauvais penchant qui fait tomber les hommes sous son emprise en détournant leurs yeux pour qu’ils ne voient pas la finalité. Ceci se trouve en allusion dans son nom עמלק = Amalek dont les lettres forment aussi le terme ע’ מלק qui signifie littéralement : la lettre « Aïn fut arrachée » car le mauvais penchant arrache la lettre ע qui représente l’œil à l’homme pour l’empêcher de regarder l’avenir. C’est le sens du verset : « Amalek est le premier des peuples. » C’est le mauvais penchant qui fait tomber l’homme sous son emprise dès le début en lui montrant seulement le début de ses actions – de ses fautes – qui paraissent comme des délices. Il lui fait oublier qu’il devra rendre des comptes devant le Roi de tous les rois Hakadoch Baroukh Hou. Cependant, l’Ecriture nous explique comment nous renforcer face à Amalek : « Sa fin sera une destruction éternelle. » (שם) Lorsque nous portons un regard au loin, plus seulement sur l’instant présent mais sur la portée de nos actes, nous affaiblissons Amalek.
8. Conclusion : voir avec sagesse
A présent nous comprenons pourquoi l’Ecriture surnomme Bilaam : « l’œil crevé ». Au lieu de prévenir les nations du châtiment sévère qui les attend si elles continuent leurs transgressions, Bilaam détériora les peuples davantage en leur donnant pour conseil de faire fauter Israël par la débauche.
Cependant, il nous incombe à nous peuple d’Israël d’appliquer le conseil du plus sage de tous les hommes, le roi Salomon :
« L’homme sage a ses yeux dans la tête. » (Kohélet 2,14)
Nous devons tourner notre regard vers l’avenir, depuis les prémices de nos actes jusqu’à leur aboutissement afin de voir s’accomplir la promesse faite par le prophète Isaïe :
« כי עין בעין יראו בשוב ה’ ציון »
« Et ils verront de leurs propres yeux, l’Eternel retourner à Tsion. » (ישעיה נב, ח)