« ּמְעֹנָה אֱלֹהֵי קֶדֶם  »

« Comme demeure pour le D.ieu d’antan.» (דברים לג, כז)

Le premier Temple construit par Salomon fils du roi David fut détruit 410 ans après son édification, le 9 du mois de Av en 3338, tandis que le second Temple construit par Zeroubabel après l’exil de Babylone fut détruit 420 ans après son édification le 9 du mois de Av en 3828. Depuis, la Présence divine ainsi que les enfants d’Israël sont en exil car la Chekhina ne réside plus de façon permanente à son lieu d’origine.

Le troisième Temple, qui sera construit dans un avenir que nous espérons le plus proche possible, sera-t-il l’œuvre des hommes, réalisé à partir de la matière, ou bien celle de D.ieu, déjà conçu dans les cieux et destiné à descendre déjà parfaitement édifié sur terre ?

Cette question constitue un débat animé parmi les Richonim. Nous allons à présent exposer les différentes opinions existantes.

Rachi זיע »א dans son commentaire sur le traité talmudique de Soucca explique que le troisième Temple, que nous espérons tant, est déjà construit et se dévoilera en descendant depuis le ciel comme il est écrit : « Sanctuaire, ô Maître, que Tes mains ont bâti. » (רש »י על סוכה מא. ד »ה אי נמי – שמות טו, יז) Puisque Rachi s’appuie sur un verset issu du Cantique de la mer des Joncs, de portée prophétique, il comprend qu’il s’agit d’une promesse divine pour les temps futurs : le Temple sera édifié par les Mains mêmes de Hakadoch Baroukh Hou si l’on peut s’exprimer ainsi.

Note : Cette lecture rappelle l’interprétation du Zohar Hakadoch à propos de la création d’Adam et Hava, à leur sujet il est dit : « Œuvre de Mes mains » (ישעיה ס, כא) De ce verset, on déduit qu’Adam et Hava furent créés uniquement par D.ieu, sans aucun autre intermédiaire. (זוהר בראשית לה:)

Dans un autre traité, il réaffirme son opinion : « Il est rapporté dans le traité de Chvouot que la construction du Temple ne repousse pas Yom Tov (שבועות טו:), ceci s’applique lorsque le Temple est construit par les mains de l’homme par contre pour le Temple à venir que nous espérons tant, il est déjà construit et se dévoilera en descendant du ciel. (רש »י על ראש השנה ל: ד »ה אי נמי)

Rabbi Eliezer ben Nathan זיע »א commente l’expression de nos Maîtres : « Le Beth Hamikdach sera rapidement reconstruit »  (ראש השנה ל:) Selon lui, cette rapidité concerne le temps de sa construction : celle-ci aura lieu en un clin d’œil, car c’est Hakadoch Baroukh Hou Lui-même qui l’érigera, comme l’indiquent nos Maîtres de mémoire bénie sur le verset : « Celui qui a allumé l’incendie paiera, il paiera. »  (שמות כב, ה) Hakadoch Baroukh Hou déclare : C’est à Moi de réparer l’incendie que J’ai allumé. J’ai mis le feu à Tsion, comme il est écrit : « Il alluma un feu dans Tsion qui consuma ses fondations. » (איכה ד, יא) À l’avenir, Je la reconstruirai par le feu, comme il est écrit : « Je serai pour elle une muraille de feu tout autour et Je serai pour la gloire en son sein. » (בבא קמא ס: – זכריה ב, ט)

C’est dans ce sens qu’il est enseigné dans le traité de Chvouot que la construction du Temple ne repousse pas Yom Tov et ne peut pas être construit durant la nuit (שבועות טו:) ceci s’applique à la construction réalisée par un être de chair et de sang qui doit respecter les décrets et les commandements de Hakadoch Baroukh Hou mais en ce qui concerne le Maître de l’univers, celui qui a ordonné lui n’y est pas astreint. (ראב »ן על ראש השנה ל:)

Tossefot partage cette opinion dans son commentaire sur le Talmud : « Il faut expliquer que le Temple à venir se fera de lui-même, par les mains Célestes. » (תוספות על שבועות טו: ד »ה אין בנין) Cette opinion est partagée par le Ritva זיע »א (ריטב »א על סוכה מא.) et par le Meïri זיע »א. (מאירי על סוכה מא. ד »ה אי)

Le Midrach Mekhilta enseigne que le Temple est extrêmement précieux aux yeux de Hakadoch Baroukh Hou, car lorsqu’Il créa le monde, Il le fit d’une seule main. Cependant, lorsqu’Il viendra construire le Temple, ce sera avec Ses deux mains. (מכילתא דרבי ישמעאל בשלח פרשה י)

Il est également rapporté dans le Tana Debe Eliahou de façon explicite que, dans l’avenir, le Temple ne sera pas reconstruit par les mains de l’homme mais uniquement par les mains Divines. (תנא דבי אליהו רבא פרק כה)

Nous allons à présent aborder l’opinion des Sages selon laquelle le troisième Temple sera reconstruit par l’homme. Commençons par l’interprétation saisissante de Rabbénou Be’hayé זיע »א sur la Torah : le Temple sera reconstruit par le peuple qui l’a détruit, c’est-à-dire Édom ! C’est la raison pour laquelle l’Occident est comparé au porc qui se dit en hébreu חזיר et dont la racine étymologique signifie également rendre = להחזיר car c’est par leur entremise que le Temple reviendra dans notre monde matériel. (רבנו בחיי שמיני פרק יא)

Selon cette explication, il reste difficile d’imaginer que des nations impures puissent reconstruire de leurs mains un Temple entièrement saint. Il faut peut-être comprendre que ce sont les enfants d’Israël qui le construiront, avec l’autorisation d’Édom, à l’image de l’époque de Korech, qui permit la reconstruction du second Temple après l’exil de Babylone.

En opposion à Rachi et aux autres érudits qui pensent également que le troisième Temple descendra du ciel, se trouvent les enseignements de Maïmonide זיע »א que nous retrouvons dans trois sources essentielles :

Premièrement dans le ספר המצוות nous trouvons que le 20e commandement positif consiste en l’obligation de construire un Temple pour servir l’Éternel par les sacrifices. Le traité Sanhédrin rapporte qu’Israël reçut trois mitsvot en entrant dans sa terre : nommer un roi, construire le Temple, et anéantir Amalek. (ע’ סנהדרין כ:) Ainsi la construction du Temple est une obligation à part entière. (ספר המצוות מצוה כ)

Il est donc clair que pour Maïmonide, il s’agit d’un commandement positif de reconstruire le Temple. Il ne faut pas croire qu’il ne parle ici que des deux premiers Temples, car Maïmonide a codifié la loi juive pour toutes les générations.

Deuxièmement, il a écrit dans son œuvre monumentale le יד החזקה : « Le roi Machia’h rétablira la royauté de David comme autrefois, reconstruira le Temple, et rassemblera les exilés d’Israël. » (הלכות מלכים פרק יא ה »א)

Note : Le Midrach enseigne en effet que le Roi Machia’h, se trouvant dans le nord, viendra reconstruire le Temple au sud. (ויקרא רבה צו פרשה ט אות ו – במדבר רבה פ »ג אות ב)

Nous apprenons de sa décision halakhique que c’est le Machia’h, et non le peuple, qui reconstruira le Temple. Par conséquent, il ne pourra pas descendre des cieux déjà bâti.

Troisièmement, dans son introduction sur son commentaire de la Michna traitant des mesures du Beth Hamikdach, il écrit : « Et lorsqu’ils reconstruiront le Temple, ils devront respecter ce même plan architectural. » (הקדמה פירושו על סדר זרעים)

Quelle est l’opinion du Zohar Hakadoch à ce sujet ?

Rabbi Yéhouda, en présence de Rabbi Eléazar, interrogea Rabbi ‘Hizkiya : « Pourquoi les morts qui doivent ressusciter à l’avenir ne le font-ils pas là où ils sont enterrés, hors d’Israël ? Pourquoi ne pas les ressusciter sur place et les faire venir ensuite en Israël ? » Il répondit : « Hakadoch Baroukh Hou a juré de reconstruire Jérusalem pour qu’elle ne soit plus jamais détruite. Comme l’enseignait Rabbi Yirmiya : à l’avenir, Hakadoch Baroukh Hou renouvellera Son monde pour reconstruire Jérusalem, laquelle descendra des hauteurs, indestructible. L’Assemblée d’Israël ne sera plus jamais exilée. C’est pourquoi les défunts ne recevront leur âme que dans un lieu éternel afin qu’elle s’y maintienne à jamais. » (זוהר וירא קיד.)

Dans un autre passage du Zohar, il est dit : « Hakadoch Baroukh Hou reconstruira d’abord le Beth Hamikdach, puis Jérusalem, avant de les installer dans la terre où résidera la Chekhina. (זוהר חיי שרה קלד:)

Il est encore enseigné : lors de la sortie d’Égypte, Hakadoch Baroukh Hou voulut faire du peuple d’Israël des êtres semblables aux anges, à l’image d’Adam avant la faute, entièrement spirituels. Il souhaita leur construire un Temple dans les mondes supérieurs, qu’Il ferait ensuite descendre sur la Terre sainte. Cependant, à cause des fautes du veau d’or et des explorateurs, cette génération fut condamnée à mort. C’est donc la génération suivante qui entra en Israël et construisit les deux premiers Temples, œuvres humaines, lesquelles ne purent se maintenir. Or il est écrit :

« בּוֹנֵה יְרוּשָׁלִַם יְהֹוָה »

« L’Eternel rebâtira Jérusalem » (תהילים קמז, ב) Ce verset signifie que seul D.ieu reconstruira Jérusalem et le Temple, et nul autre. À l’avenir, Hakadoch Baroukh Hou fera descendre le premier Temple, revêtu dans le second, qui se dévoilera. Le monde entier aura foi en Lui. Des nuées de gloire entoureront le Temple. (זוהר פנחס רכא.)

Note : Ce Zohar est surprenant, pourquoi le Créateur va-t-il aussi reconstruire la ville de Jérusalem ? Celui qui a connu la ville de Jérusalem il n’y a pas si longtemps comprend cet enseignement dans son cœur : la cité lumière, le joyau du monde a été travesti par la main de l’homme avide de pouvoir. Il a étouffé sa splendeur naturelle sous des strates de ciment telle une femme méconnaissable sous des couches de maquillage et parée d’artifices plus superflus les uns que les autres. L’appât du gain n’a pas épargné la ville Sainte qui est méconnaissable aujourd’hui : ses ruelles en pierres de taille scintillantes aux premières lueurs du jour se sont assombries par des géants de béton qui trônent à la place du château du Roi. Où sont passées les silhouettes furtives de ces hommes vêtus de blanc, accourant servir leur Créateur avant que le soleil ne réveille le monde ? Elles sont cachées par panneaux de circulation, les échafaudages et les myriades de voitures qui bouchent les artères du cœur battant de la cité. Où sont les voix cristallines de ces enfants s’élevant dès l’aube des ruelles de la ville ? Elles sont étouffées par le bruit sourd des tractopelles qui creusent frénétiquement le sol qui porte encore les dernières empreintes de nos patriarches… Voilà pourquoi le Créateur va redessiner les traits de Sa ville bien aimée dont la beauté naturelle fut tant bafouée par les mains de l’homme.

Ainsi, selon le Zohar Hakadoch, non seulement le Temple descendra du ciel, œuvre divine, mais Jérusalem tout entière sera également reconstruite dans les hauteurs, puis s’installera sur terre.

Note

De la même manière que le Zohar Hakadoch compare la destruction du Temple à celle du monde, évoquant le tohou-bohou, il en sera de même dans l’avenir : lorsque Jérusalem et son Temple seront reconstruits, ce sera comme si le monde lui-même était réédifié et élevé à la perfection. (זוהר בהקדנה טז.)

Puisque les enseignements du Zohar Hakadoch vont clairement dans le sens de l’opinion de Rachi, comment concilier ceux-ci avec l’avis de Maïmonide ?

En effet a priori Maïmonide ne peut pas aller à l’encontre des écrits qui datent de la Michna ! Ainsi il faut répondre simplement que Maïmonide n’a pas eu accès aux écrits du Zohar Hakadoch comme le reconnaît une grande partie des décisionnaires.

Note : Rabbi ‘Haïm Vital rapporte au nom de son maître, le Ari Zal, que Maïmonide provenait de la péa située du côté gauche et n’avait pas mérité de connaître la sagesse du Zohar. À l’inverse, le Ramban, issu de la péa du côté droit, y eut accès à la fin de ses jours. (שער הגלגולים הקדנה לו דף מה.) Cependant, certains Sages soutiennent que Maïmonide eut connaissance du Zohar en fin de vie. (שומר אמונים קדמון ויכוח ראשון אות יג) Le ‘Hida mentionne également l’hypothèse selon laquelle Maïmonide aurait accédé à la sagesse cachée en utilisant certains Noms divins contenus dans un manuscrit secret, que certains lui attribuent. (שם הגדולים סימן מ סימן קנ) Cela semblerait a priori contredire les enseignements du Ari Zal, reçus directement d’Éliahou Hanavi. Ainsi, il faudrait comprendre que, bien que Maïmonide n’ait pas eu accès au Zohar lui-même, il atteignit un certain niveau de prophétie, ce qui lui permit, à certains égards, de rapporter des idées présentes dans la Kabbale authentique. Le Leshem écrit à ce sujet : « Notre maître, homme divin et saint, Maïmonide – nous avons découvert dans certaines de ses paroles des allusions aux sphères supérieures et à la Torah de la Kabbale, bien qu’en son temps elle ne fût pas accessible. Car le Roua’h HaKodesh reposait sur lui. » (ספר הכללים כללי התפשטות כלל יא ענף א)

Ainsi, pour concilier les opinions de ces deux géants du judaïsme, il est envisageable de proposer la synthèse suivante : le Temple sera effectivement reconstruit par le peuple d’Israël, sous la direction du Machia’h, afin de créer un réceptacle matériel, une base terrestre, qui servira d’invitation à la descente du Temple céleste conçu par l’Éternel, D.ieu d’Israël. Celui-ci viendra s’unir et s’incarner dans l’édifice reconstruit par l’homme, lui conférant une sainteté éternelle. Ce processus serait analogue à la création de l’être humain : un corps fait de matière, façonné par les mains de D.ieu, dans lequel le Créateur insuffle une âme divine pour lui donner la vie. (ע’ סנהדרין לח:)

Ne viens pas demander : « Quelle différence y a-t-il alors entre ce Temple futur et les deux premiers, également construits de mains d’hommes et habités par la Présence divine ? » La réponse est la suivante : les deux premiers Temples, bien que sanctifiés, étaient fabriqués à partir d’une matière encore soumise à l’influence du mauvais penchant, conséquence de la faute originelle. Or, dans les temps futurs, cette emprise sera totalement anéantie, et la matière elle-même sera purifiée, élevée au-dessus de toute atteinte. (ע’ סוכה נב.)

Ce Temple sera semblable aux premières Tables de la Loi, façonnées par D.ieu et gravées de Sa main. Une œuvre matérielle mais intouchable par le serpent originel, bien qu’issue de la matière. (ע’ הקדמה זוהר ה:)

Note : consulter Rabbi ‘Haïm de Vologine qui développe cette idée à partir de ce passage du Zohar Hakadoch. (ע’ נפש החיים שער א פרק ו בהגה)

La comparaison entre la destruction du Temple et la décomposition du corps humain est frappante. De même que le corps n’est que le réceptacle de l’âme, et qu’il retourne à la poussière à cause de la faute originelle (ע’ ליקוטי תורה פרשת ויחי), de même le Temple, lorsqu’il est édifié par des êtres de chair encore soumis au yétser hara, est destiné à la ruine.

Cependant, dans les temps à venir, Hakadoch Baroukh Hou reconstruira Lui-même le corps humain à travers la résurrection des morts ; celui-ci sera alors éternel et sanctifié, à l’image du Temple rebâti.